Pour sortir de la tourmente générée par son débat sur l’Islam, Jean-François Copé a tenté un exercice périlleux en écrivant un article dans le journal L’Express intitulé : « Lettre à un ami musulman ». Celui-ci s’inspirait du titre d’Albert Camus « Lettre à un ami allemand » à la fin de la seconde guerre mondiale. On apprécie au passage l’inspiration de Jean-François Copé…

Marwane Mohamed, du Collectif Contre l’Islamophobie en France a décidé de répondre de manière tout à fait remarquable :

D’abord, je dois te confier que chez moi (en France, avant que tu demandes), ce n’est pas comme ça qu’on traite ses amis. On ne fait pas un débat pour savoir comment nos amis devraient s’habiller ou s’exprimer. On ne se mêle pas de leur vie religieuse et on ne se permet pas de dire à leur fille que sa robe est trop longue. Ce serait très déplacé, tu en conviendras.

On ne se sert pas de ses amis pour gagner des élections. On ne salit pas leur dignité et on ne leur porte pas préjudice, même si ça fait monter l’audimat au radio-crochet du coin… Tu dis vouloir m’aider à combattre les préjugés à mon sujet, mais c’est toi qui les alimentes à chaque fois que tu prononces les mots « islam », « menace » et « laïcité » dans la même phrase.

Je ne t’ai rien demandé et je n’ai pas besoin de ton aide. Je veux juste que tu me laisses en paix. Le jour où tu auras vraiment envie d’avoir une conversation avec moi, retrouve-moi autour d’un bon repas, sans caméras si possible, comme ça tu pourras me regarder dans les yeux te dire le fond de ma pensée. D’ici là, si vraiment tu t’ennuies et qu’il te reste de l’énergie, je peux t’indiquer un certain nombre de problèmes qui requièrent toute ton attention dans le quartier : à commencer par le fait qu’il manque du travail à beaucoup de nos voisins et que les gens ne se parlent quasiment plus depuis que toi et ton équipe tenez le micro. J’aimerais aussi répondre point par point à un certain nombre de remarques que tu fais dans ta lettre et qui, si l’un de nos amis la lisait, risqueraient de l’induire quelque peu en erreur.

Quand tu dis que notre foi, l’islam, est « défigurée dans l’opinion par des comportements ultraminoritaires », ce serait bien de rappeler que cette « opinion » se construit moins à partir de la réalité que du discours politique et médiatique auquel, il me semble, tu participes un peu (note ce doux euphémisme que l’amitié t’offre en privilège). Toi qui as depuis fort longtemps renoncé à la langue de bois et à la stratégie politique, tu devrais savoir qu’il ne convient pas de dire une chose et son contraire d’une interview à la suivante. On pourrait t’accuser de tenir un double discours ce qui, par les temps qui courent, reviendrait à te bannir de la sphère publique où tu sembles t’épanouir.
Plus loin dans ta lettre, tu parles de mon grand-père mais tu confonds probablement. C’est celui de Djamel qui est mort à Verdun. Le mien a combattu à Al-Alamein en Egypte, dans une guerre qui n’était pas la sienne. Du côté de maman, ils étaient plutôt vers Alger, où ils ont pu découvrir les joies de l’électricité dans les années 50. C’est vrai que tout ça fait partie du passé… mais je suis bien content que tu fasses avec moi ce devoir de mémoire qui nous rappelle d’où nous venons et ce qui nous unit, tout en nous permettant de tirer des enseignements qui nous éviterons de répéter les mêmes erreurs. Comme de stigmatiser une partie de nos concitoyens à des fins politiques.

Tu voudras bien m’expliquer aussi pourquoi dès que tu parles d’islam, tu te sens obligé d’invoquer la laïcité pour dire quelque chose de pas sympa juste après. Si tu n’aimes pas les barbes et les foulards, libre à toi d’exprimer ton opinion. Nul besoin de faire comme tous ceux qui, pour exprimer leur rejet des formes visibles de l’islam, se drapent sous la cape de la laïcité en espérant y trouver une respectabilité à leur racisme d’autrefois. Je sais bien que tu n’en fais pas partie, toi qui poursuis des objectifs « emprunts de paix et de respect », mais c’est tout de même dans ton camp qu’on entend des gens parler de « croisades », de la « France [qui] doit rester la France », et du jeune musulman dont on veut « qu’il travaille, qu’il ne parle pas verlan et qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers ». Si c’est toi le chef de cette équipe, je te souhaite bien du courage.
C’est bien d’avoir une opinion. C’est mieux d’avoir la vérité. Or notre vérité commune est dictée par la loi de notre pays et il se trouve justement qu’en 1905 une loi a été votée pour établir le principe de laïcité que les polémistes (contre lesquels tu fais bien de t’insurger) ressassent à tort mais surtout à travers sans vraiment l’avoir lue.
Et que dit-elle cette loi ? Elle dit que nous sommes libres.
Libres de choisir en conscience notre religion et de la vivre comme bon nous semble, sans faire de prosélytisme et sans devoir la cacher ou la nier dans la sphère publique. Libres de s’habiller comme il nous plaît, de porter une barbe ou de se couvrir la tête si on le souhaite. Libres de prendre notre place au sein de laRrépublique comme nous l’avons fait jusqu’ici en l’enrichissant de notre travail, de nos idées et de nos espoirs. Aucune instance musulmane n’a réclamé le changement de cette loi. Aucun musulman n’a demandé un privilège dont serait exclu l’un de ses concitoyens. Nous demandons, et la majorité de nos concitoyens avec nous, le strict respect de la loi de 1905. Sans cadres ni contraintes supplémentaires et sans polémiques pour venir, chaque jour un peu plus, restreindre nos libertés et nos droits fondamentaux.
Mon cher Jean François, à trop vouloir nous aider, tu risques de nous causer du tort en faisant croire qu’il y a une spécificité islamique qu’on aurait jusque là ignorée. Il n’en est rien. Nous sommes des citoyens comme les autres, acteurs anonymes des changements et des sacrifices que doit concéder notre pays aujourd’hui. Ta famille politique n’est pas étrangère à cette situation (mais bon, on ne choisit pas sa famille…). Ce serait malheureux de donner ainsi raison à ces mauvaises langues qui disent déjà qu’avec des amis comme toi on n’a pas besoin d’ennemis.
Pour ces raisons, tu comprendras que je ne souhaite pas venir à ta petite fête du 5 avril. Je préfère vous laisser laver votre linge sale en famille. Fais-moi signe quand tu auras repris tes esprits et que les choses se seront un peu calmées vers chez toi.
Je termine en te disant que le respect, c’est d’accepter l’autre tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit, avec ses différences. Il serait bon que tu t’en souviennes désormais, avant d’invoquer une idée de fraternité que tu piétines chaque jour.

Bien amicalement,

Marwan Muhammad

Collectif Contre l’Islamophobie en France