AMMAN (Reuters) – « Ils sont entrés dans nos maisons (…), des hommes en uniforme qui nous ont rassemblés comme des moutons dans une pièce avant d’ouvrir le feu », raconte une femme apparemment blessée, qui se dit rescapée du massacre de Houla, en Syrie, dans une vidéo diffusée par l’opposition.

« Mon père est mort et mon frère aussi, le seul fils de ma mère… Sept de mes soeurs ont été tuées », poursuit-elle allongée à côté d’une autre blessée et d’un bébé visiblement touché à la poitrine.

Selon les Nations unies, 108 personnes, dont une moitié d’enfants, ont été tuées le 25 mai dans la région de Houla, 20 km au nord-ouest de Homs, dans le centre de la Syrie, ce qui a soulevé une vague d’indignation dans le monde entier, 14 mois après le début du soulèvement populaire contre le régime de Bachar al Assad.

Les puissances occidentales ont imputé ce massacre aux forces de l’ordre et aux miliciens progouvernementaux, les Chabbihas, tandis que les autorités syriennes mettent en cause des « terroristes » islamistes.

Les déclarations des observateurs de l’Onu déployés pour veiller au respect du cessez-le-feu conclu par l’émissaire international Kofi Annan mais quotidiennement violé contredisent toutefois les affirmations de Damas, tout comme les témoignages d’opposants et de rescapés, qui sont toutefois invérifiables.

« Ce sont tous des Chabbihas d’Assad. Ils sont venus (des villages voisins) de Fela et de Charklia. Ce sont des porcs alaouites », dit la rescapée dans l’enregistrement vidéo, évoquant la minorité religieuse à laquelle appartient le chef de l’Etat. « Ils nous ont attaqué en disant: ‘A mort les porcs !’ et sont repartis », ajoute-t-elle.

D’autres massacres ont été commis en Syrie, mais la présence des observateurs de l’Onu et le grand nombre de femmes et d’enfants pourraient en faire l’un des tournants du conflit.

« Il est tout à fait clair qu’un acte vraiment abominable a été perpétré à Houla », a souligné Rupert Colville, porte-parole du Haut Commissaire de l’Onu aux droits de l’homme.

« Au stade actuel, il semble que des familles entières aient été abattues chez elles. Quarante-neuf enfants et 34 femmes figurent parmi les victimes connues », a-t-il poursuivi, soulignant que ce bilan était loin d’être définitif.

« JE LES AI TOUS VUS… »

Comme de nombreux autres épisodes sanglants, celui de Houla a débuté avec les manifestations antigouvernementales organisées après la prière du vendredi à Taldaou.

Les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur les contestataires, tuant plusieurs d’entre eux, selon des opposants. Les déserteurs de l’Armée syrienne libre ont ensuite attaqué des postes militaires aux abords de villages de la région de Houla. Les rebelles se sont emparés de l’un de ses postes et ont endommagé cinq véhicules blindés, signe de l’augmentation de leur puissance de feu.

« En fin d’après-midi, Taldaou a essuyé des tirs nourris de chars et de roquettes », rapporte l’opposant Maïssara al Hilaoui, qui dit avoir été témoin de la scène. « Plusieurs personnes ont été tuées et les rebelles ont battu en retraite », poursuit-il.

Les Chabbihas des villages alaouites environnants, couverts par les tirs de l’armée, sont selon lui arrivés à Taldaou vers 18h00.

De nombreuses exécutions ont été commises dans le sud de la ville à dominante sunnite, sur une route menant vers les villages alaouites, ajoute Hilaoui, dont les dires coïncident avec ceux de témoins cités par Human Rights Watch. Il dit s’être aventuré à Taldaou vers 20h30. « J’ai découvert plein de gens massacrés dans leurs maisons, sur la route de la digue qui conduit aux villages alaouites. »

« Ceux qui ont tenté de s’échapper ont été tués à la mitrailleuse et les corps de neuf hommes et de six femmes qui s’étaient enfuis ont été retrouvés aujourd’hui dans les champs. Il y a d’autres corps près des barrages routiers dont on ne peut pas approcher. »

Selon lui, 63 membres du clan sunnite Abdelrazzak ont été tués à leurs domiciles. « Les Chabbihas sont revenus à 02h30 du matin et ont tué une quinzaine de membres de la famille Al Sayyed. Un bébé nommé Ali Abel al Sayyed a miraculeusement survécu. »

L’une des vidéos mises en ligne le jour même du massacre montre un bébé égorgé et présentant ce qui pourrait être une blessure par balle au niveau de la poitrine. Dans une autre, on peut voir une fillette apparemment touchée à l’oeil droit.

« Les soldats sont entrés. Ma mère leur a crié après parce qu’ils emmenaient mon frère et mes oncles », dit un enfant interrogé dans une troisième.

« Ils ont braqué leurs armes vers sa tête et ont tiré cinq fois », poursuit-il, expliquant que les militaires l’avaient ensuite repéré dans sa cachette mais l’avaient manqué.

« Ils étaient onze, certains en uniforme et d’autres en civil, avec le crâne rasé et la barbe. Des Chabbihas. Je suis sorti de la maison en tremblant. J’ai vu les corps de ma soeur, de ma mère et de mes frères sur le lit. Je les ai tous vus… »

Jean-Philippe Lefief pour le service français